Spleen ferroviaire et tout-fout-l'camp-ma-pauvre-germaine

Quelque part, dans un train parti beaucoup trop tôt et qui arrivera forcement trop tard, je regarde par la fenêtre le paysage qui défile. La brume s'étire dans les buissons, deux silhouettes s'y dessinent, accompagnées d'un chien. Je ne savais pas que les chasseurs avaient le droit d'être si proches des voies.

Le décor se déroule, or et roux, la brume semble déchirer ses voiles en s'accrochant à la végétation. Dans mes bras ma fille dort. 

Dans les champs un engin que je ne saurais identifier apparaît. Un paysan déverse sur ses terres ses produits chimiques habituels. Et je ne peux pas m'empêcher de me trouver ça profondément triste. De me demander comment on en est arrivé là. Comment ces hommes dont la plus grande richesse est leur terre l'empoisonnent volontairement. Comment ces fruits et légumes parfaits et toxiques finissent dans nos sacs en plastique. Comment le monde ne se révolte pas devant les multinationales qui détruisent notre seul habitat. S'il devait n'y avoir qu'un combat il me semble que ce devrait être celui là. Sauver la seule planète qu'on ai. Les rues devraient être noires de monde. Mais bon, nous avons une sélection de 10 fruits et légumes à moins d'1 euro. Et nous continuons à étouffer notre poule aux œufs d'or dans l'espoir de pouvoir gratter quelques paillettes.

Je regarde ma fille qui dort et j'ai peur du jour où elle me demandera des comptes. J'ai encore plus peur qu'elle ne nous reproche rien. Qu'elle trouve normal de manger des tomates en février et que toutes les pommes aient la même tête. Qu'elle aussi elle me dise qu'elle s'en foute, qu'elle rigole, que ce n'est pas son problème.

Les arbres se font plus denses, j'espère que leurs habitants ne croiseront pas les chasseurs. Il me semble que lorsque j'étais jeune je voyais plus de bétail par les fenêtres de mon train. Peut être que ma mémoire me joue des tours. Peut être qu'ils sont tous dans des batteries et "fermes des milles vaches". J'ai peur que ma fille ne sache pas ce que c'est une vache. Qu'elle aime les nuggets aux déchets de poulets brésilien. Qu'elle pense qu'un poisson est carré. Qu'il n'y ai plus de poissons car nous aurons fini d'exterminer les océans.

Pourtant ça ne me semble pas si compliqué. Il suffirait d'un peu de bonne volonté. De réfléchir avant d'acheter. D'arrêter de croire qu'on ne peut rien y changer. De réaliser que le monde ira où va notre argent. De regarder un peu nos poubelles et de se demander si on ne pourrait pas un peu réduire nos déchets. Juste en s'organisant différemment. Aujourd'hui tout le monde sait que "les antibiotiques c'est pas automatique". Sauf pour les animaux que l'on mange. Manger du cochon aux antibio, ça c'est normal... Tout le monde sait aussi que les pesticides sont responsables de nombreuses maladies. Tout le monde sait que la sécurité sociale va mal. Mais apparemment personne ne fait le lien. On préfère aller faire chier les infirmières ou dérembourser les médicaments "de confort". Que tous ceux qui pensent qu'une infirmière est trop bien payée aillent faire leurs tournées pendant un mois.

Le train ralenti pour entrer dans une gare dont j'oublie le nom avant même de le lire. Un sac en plastique flotte tel un drapeau blanc accroché à une barrière en métal. Avec un peu de temps et de vent il rejoindra la mer et le nouveau continent de plastique. Ou peut être tuera-t-il un oiseau. Nouvelle accélération. Le paysage s'élance par la fenêtre, moi je reste bien immobile, de peur de réveiller ma fille. Le train va vite, mais je me dis que quelle que soit sa vitesse, je ne voyagerai jamais autant que le placard moyen du français moyen. Avocat d’Israël, cassoulet toulousain aux haricots d’Amérique. Escargot de bourgogne de Pologne. Cornichon indien. Les pro du marketing ont gagné. Les courses aussi doivent aller vite. Une étiquette n'est pas lue, elle est regardée. Et on achète parce que la boite à l'air saine, fun ou locale. Et que ça a l'air rapide. La cuisine se doit d'être toute aussi rapide. Les solutions de secours deviennent la norme du quotidien. On dégaine le plat préparé plus vite que notre ombre. Et les enfants savent se servir d'un IPad avant de savoir se presser une orange. 

Mes idées continuent de défiler, abattoirs, poussins broyés, huile de palme... pendant que mes bras s'engourdissent sous le poids de ma fille. Aujourd'hui moi aussi je me demande si on peut encore y faire quelque chose, s'il n'est pas trop tard. Demain ça ira mieux. Demain je recommencerai à sélectionner mes poireaux bio, à acheter en vrac et à éteindre la lumière en sortant d'une pièce, comme autant d'actes révolutionnaires. Je sensibiliserai comme je peux mon entourage. Demain, à défaut de pouvoir noyer mes pensées dans l'alcool, je les ensevelirai sous suffisamment de patates et de fromage.

Et en attendant je regarde ma fille qui dort comme seul peut dormir quelqu'un qui a placé toute sa confiance dans vos bras.

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Commentaires: 7
  • #1

    aline (mercredi, 28 octobre 2015 20:49)

    Merci pour ce texte tellement bien écrit !
    Tu as vraiment du talent !
    Si tu me permets, j'aimerais bien le copier sur mon mur. Si seulement ça pouvait faire réagir des gens... car contrairement à toi, je ne trouve pas toujours les mots.

  • #2

    Aramina (mercredi, 28 octobre 2015 21:11)

    Ça me touche beaucoup Aline, et bien entendu tu peux utiliser ces quelques lignes à ta guise

  • #3

    Afternoon Tea (jeudi, 29 octobre 2015 12:15)

    Un plaisir immense que de te lire ... mais quel talent !!!

  • #4

    Aramina (vendredi, 30 octobre 2015 00:41)

    Merci infiniment Afternoon tea, je suis toujours ravie de voir que j'ai intéressé quelqu'un!

  • #5

    Hélène Keskonmangemaman (mercredi, 25 novembre 2015 15:55)

    je suis en train de parcourir ton blog et je me dis que j'ai bien fait de passer par ici, je partage tes idées , d'ailleurs pour les partager encore plus je vais partager ta page facebook sur la mienne :) (et m’abonner à ta newsletter par la même occasion )

  • #6

    Hélène Keskonmangemaman (mercredi, 25 novembre 2015 15:57)

    enfin si je trouve la newsletter (blonde la fille ^^ )

  • #7

    Aramina (mercredi, 25 novembre 2015 21:28)

    Oh c'est vraiment adorable et super sympa !
    Si tun'as pas trouvé la newsletter... c'est parce que moi non plus ^^ J'ai déménagé mon blog il y a peu et je n'ai pas encore mis la main dessus... Mais je vais me pencher sur la question !