Nouvelle : Les malheurs de Sophie

 

 

 

 

Des hamsters, des extraterrestres et un gros chagrin

Voici une petite nouvelle que j'avais écrite pour une joute littéraire proposée par le site La pierre de Tear. Le sujet était d'écrire une romancce (au sens de fiction) planétaire. Elle me faisait de la peine à prendre la poussière dans un coin de mon disque dur alors je lui offre une petite balade sur le blog

« … et c'est comme ça que, avec Hugo, on a fabriqué Nenette ».

Sophie regarda avec calme le petit visage bleu qui venait de déclamer de façon très appliquée son discours. Non pas avec le calme habituellement associé à une sérénité intérieure, mais celui qui démontre que les torrents de la terreur et les montagnes de la panique ont été dépassés depuis longtemps et que l'on flotte à présent dans des territoires proches de la folie en ayant perdu tous ses repères. Derrière lui, Hugo faisait un petit signe de main à ses parents qui, appareils photos à la main, immortalisaient la participation de leur fils au concours de science des CE2. 
Le petit visage bleu lui souriait. De ce sourire apparemment commun à tous les enfants quelle que soit leur origine. Celui qui veut dire « Tu es contente maîtresse ? » 
Sophie se retourna vers « «Nenette ». Dans un aquarium, un hamster à pois vert nageait d'un air contrit. Mais quand on est une maîtresse on ne doit pas perdre contenance. 12 ans de métier sans un faux pas. Même quand Paul avait ajouté une cartouche d'encre dans le produit des bulles de savon. Pas même quand Maé avait fait un shampoing à la colle liquide à Elodie. 

Alors elle n'allait pas craquer devant une Nenette. 

Elle prit une grande inspiration, fit un sourire rassurant à l'enfant devant elle et se retourna vers le parterre de parents venus encourager leur progéniture. 
« Et nous pouvons donc applaudir Lu et Hugo pour leur expérience de « modification génétique pour rendre Nenette jolie ». C'était très... intéressant. Surtout le passage avec la machine...euh... celle du séquençage... 
Lu la fixait avec un regard suppliant la bonne note. Il venait d'expliquer une méthodologie de manipulation de l'A.D.N qu'aucun être humain n'aurait su reproduire. Il avait accès à des technologies telles que le principe des prix nobels avaient été abandonnés. Mais Lu, lui, voulait son 20 sur 20. 
Garder sa contenance. Rester en terrain connu. 
« Et ces pois, vraiment très... charmant. Mais dis moi Lu, pourquoi en faire un animal aquatique ? » 

Nenette, qui dérivait dans son aquarium devait être en train de se poser la même question. 

« Ben pour qu'elle reste tout le temps propre ». 
Petit rire collégial dans l'assistance. Sophie avait beau prendre sur elle et faire des efforts pour intégrer tous ces nouveaux élèves, elle avait parfois besoin de se retrouver en terrain connu. 
« Et toi Hugo, qu'as tu fais dans cette expérience ? » 
Hugo s'avança sur le devant de l'estrade, tout gonflé de fierté : 
« Moi j'ai fabriqué la roue ! » 
Annonce récompensée de quelques applaudissements chaleureux. 
Sophie jusque là hypnotisée par la pauvre bestiole tachetée remarqua la roue en question fixée dans le fond de l'aquarium. 
« C'est une très joli roue Hugo » 
« Je l'ai faite avec une boite de camembert. Normalement y avait des points verts comme sur Nenette, mais la peinture elle est partie dans l'eau. » 
« Oh. Et donc tu as fabriqué un pivot pour qu'elle tourne ? Tu peux expliquer le pivot à tes petits camarades ? » 
« Elle tourne pas je l'ai collée. Mais c'est pas grave parce que Nenette elle nage maintenant, alors elle peut tourner dedans. » 
Nouveaux rires attendris. 

Et ce n'était que la 3ème expérience de la matinée. Elle savait que ce concours était une mauvaise idée. Mais devant l'insistance des parents humains elle n'avait pas eu le courage de leur dire « je ne veux pas le faire parce qu'on va passer pour des cons ». 
Le plus étonnant était que les Valspaciens semblaient indulgents avec leur race d'accueil. Parfois même intéressés. Pas un n'avait baillé ou chuchoté pendant la démonstration de Jeanne qui avait présenté son volcan en carton et son éruption de ketchup. Pourtant Sophie soupçonnait qu'ils auraient pu recréer un vrai volcan dans leur jardin, juste pour occuper leur week end. 

Nenette, qui avait le sens du spectacle, effectuait maintenant des loopings. Nouveaux regards plein d'espoir des enfants envers leur maîtresse. 

Sophie savait qu'elle pataugeait mais la prochaine expérience venait de Xhim, qui comptait présenter une classification des métaux qu'elle pouvait fondre avec sa propre salive. Elle ne savait pas si elle réussirait à supporter cette épreuve, elle gagna donc du temps comme elle pouvait. 
« On dirait que vous avez accidentellement ajouté le gène de la natation synchronisée à votre Nenette ». 
Sophie chercha du soutien dans la salle. Ce fût une erreur, car malgré les dispositions favorables des parents d'élèves, leur vision lui donnait toujours le vertige. Dans les rangées les humains se mêlaient aux Valspaciens, qui eux même se composaient de 489 races de planètes différentes. La salle des fêtes ressemblait à un mauvais film hollywoodien. A chacun sa couleur, à chacun sa tentacule, voir, en une occasion, son nombril préhensile. Les Valspaciens menaient une existence multiplanétaire depuis des milliers d'années, la situation leur semblait donc naturelle. Mais ils n'étaient arrivés sur terre que depuis 2 ans, et malgré leur effort d'intégration, Sophie perdait parfois pied. 
« Très bien les enfants. Et bien je crois que vous avez mérité un... 20 sur 20 ! » 
Les enfants explosèrent de joie sous le regard plein d'amour de leurs parents. Apparemment, le fait qu'aujourd'hui tout le monde aurait 20 sur 20 et que tous seraient premiers ex aequo ne semblait pas ternir le bonheur de quiconque. C'était la seule solution que Sophie avait trouvé pour pouvoir comparer de la physique quantique à l'art de la gommette. A leur arrivée les Valspaciens avaient expliqué qu'en tant qu'invités surprises polis, ils s'adaptaient aux us et coutumes des nouvelles planètes découvertes. Les techniciens du vaisseau diplomatique avaient fabriqué le premier « portail » permettant de voyager d'une galaxie à une autre. Il y en avait maintenant des milliers sur terre. Officiellement les portails étaient en libre service pour les humains. Sauf qu'il leur était impossible de survivre à leurs atmosphères. Mais on pouvait saluer les efforts des voyageurs pour se fondre dans le paysage. Ils avaient donné des prénoms à leurs enfants, les envoyaient à l'école et organisaient des barbecues dans leurs jardins le week end. Ils avaient même déguisé leurs portails en cabine téléphonique pour respecter l'aspect de nos villes. Sophie reconnaissait volontiers que c'était une approche plus agréable qu'un « on rase tout et on refait comme chez nous », mais ça lui causait des soucis professionnels qui n'avaient jamais été abordés lors de sa formation. 

« Et bien les enfants, je pense que vous pouvez rejoindre vos parents. Je suis très fière de vous. » Hugo sauta directement de l'estrade dans les bras de son père. Lu parti à petits pas rejoindre l'escalier qui descendait dans le public. Le fait que ses jambes soient atrophiées et visqueuses avait donné lieu à des moqueries à son arrivée, et Sophie avait eu peur que Lu se sente exclu tout au long de sa scolarité. Mais l'utilisation de ses tentacules adhérentes lors de la première balle au camps avait finalement fait basculé Lu dans le clan très convoité des « populaires ». 

Sophie soupira et se résolue à enchaîner. Il lui restait encore de nombreuses expériences, allant de « la germination des lentilles sur coton hydrophile » à « la téléportation d'un muffin ». 
« Et nous poursuivons avec Xhim et son expérience « les métaux que je peux faire fondre avec ma salive ! » 
Les applaudissements reprirent. Puis se turent. Mais Sophie était toujours seule sur l'estrade. 

Nenette émit une bulle. 

« Hum. Je disais donc, nous poursuivons AVEC XHIM ». 
Du côté de l'entrée de la scène, des chuchotements pressants se firent entendre. Des chuchotements de toutes petites voix. Et 8 ou 9 petits bras, appartenant à au moins deux ou trois enfants différents, propulsèrent une boule orange vêtue d'une salopette bleue sur scène. Xhim avança d'un pas hésitant vers Sophie. Ses yeux globuleux débordaient de détresse et sa lèvre inférieure démesurée semblait être en mode vibreur. 
« Xhim ? Quelque chose ne va pas ? » 
Avant de pouvoir prononcer un premier mot Xhim éclata en sanglots. Sa respiration saccadée générait de grandes vagues adipeuses le long de son gros corps sphérique. Sophie se précipita vers lui, alors que les parents commençaient à s'agiter. Sous la voix douce et les encouragements de sa maîtresse, Xhim réussit à retrouver passagèrement assez de respiration entre deux reniflements pour utiliser sa voix. 
« J'ai voulu répété et j'ai trop bavé. Touuuut à fonduuuuuuu » 
Et Xhim repartit dans ses sanglots bavouillants, rempli du chagrin inconsolable de celui qui voit disparaître au loin son heure de gloire. 

Depuis la salle, une délégation de parents d'élève s'était déjà mise en route pour ramener les métaux nécessaires à son expérience. Dans les rues les portails clignotaient tandis qu'ils transportaient les Valspacien qui faisaient un saut dans une galaxie éloignée. Xhim pourrait bien baver sur son matériel et obtenir son lot d'applaudissements. Lui aussi aurait 20/20, serait premier ex aequo et aurait un joli fanion pour le prouver. En attendant, Sophie s’assit par terre pour recueillir dans ses bras l'enfant blobottant. Et tout en lui caressant le dos, en lui chuchotant des paroles rassurantes, elle se dit que finalement, qu'importe la provenance des enfants, l'essence de son métier resterait toujours la même. 

 

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